Le régime chinois aujourd'hui : la nostalgie du totalitarisme.
La Chine d'aujourd'hui n'est plus totalitaire mais elle n'est pas encore une dictature "normale", elle conserve de beaux restes de son expérience maoïste et sait les utiliser à l'occasion.
Les principaux vestiges de la période totalitaire sont idéologiques, les Quatre Principes sont toujours en vigueur bien que de plus en plus vides de sens.
Depuis Jiang Zemin, le parti est supposé représenter les intérêts du peuple bien sur mais aussi la culture la plus avancée et des forces productives les plus avancées. On pourrait y voir une ouverture mais la volonté du Parti de représenter la société en entier est réaffirmée jusqu'au délire, ce que Claude Lefort appelle « le fantasme de l'Un ». Il a simplement l'intelligence de ne pas s'opposer l'apparition de nouvelles élites, il préfère les intégrer plutôt que de les affronter.
La structure de l'État-Parti reste par ailleurs inchangée et le pouvoir politique ne possède toujours pas de contrepoids : le pouvoir judicaire lui est inféodé et les dissidents, savamment contrôlés, ne bénéficient pas de soutien de l'occident qui avait permis à leur prédécesseurs soviétiques de se faire entendre.
Le rapport de domination du pouvoir à la société reste également inchangé. L'idéologie n'est plus un moteur mais garde un rôle de légitimation, tout en se colorant de nationalisme. Selon l'expression de Mao, la propagande « occupe le front de l'idéologie » étouffant toute voix dissidente : à l'occultation brutale des événements gênants, on préfère aujourd'hui l'abondance d'images mises en scène et un filtrage tendancieux, sans renoncer, si cela s'avère nécessaire, aux anciennes méthodes : on emprisonne encore les intellectuels, on passe encore livres et journaux au pilon, on renvoie les chercheurs, on fouille les appartements, etc.
Même si le PCC s'est résigné à voir se créer des associations indépendantes, de l'ONG au club de sport, un des caractères les plus remarquables du pouvoir chinois est sa vigilance vis-à-vis des organisations dont le contrôle lui échappe. Le Parti craint évidemment la concurrence idéologique, mais ce qu'il semble redouter par-dessus tout c'est l'organisation de sa population dans des structures qu'il ne contrôle pas. Dans ce domaine, il a retenu les leçons de la chute de l'URSS et veille à ne pas laisser se former de mouvement qui pourrait jouer un rôle comparable a celui de Solidarnosc ou de l'église catholique en Pologne.
Les mésaventures du groupe de gymnastique méditative Falungong illustrent dramatiquement cette politique. L'ampleur et la violence des moyens mis en œuvre contre lui ne sont évidemment pas justifiées par sa doctrine farfelue, mais par sa capacité organisationnelle : en 1999, à la barbe de tout les services de sécurité, les Falungong sont parvenus à réunir plus de 10000 personnes autour Zhongnanhai, le siège du pouvoir chinois. La répression qui a suivi montre que la Chine n'a pas renoncé aux méthodes héritées de ses pires moments : propagande, appel à la délation, camps de travail, « persuasion idéologique » pour obtenir le reniement des adeptes emprisonnés, etc. mais leur utilisation est moins fréquente et plus ciblée.
Sous Deng Xiaoping et Jiang Zemin, le Parti Communiste Chinois a renoncé à ses prétentions utopistes pour se tourner vers l'économie de marché, ce qui l'a conduit à assouplir ses contrôles sur la vie privée et professionnelle. Mais il s'agit là d'une auto-limitation qui ne modifie pas l'emprise du pouvoir sur la société civile. Traumatisé par la chute de l'URSS et par Tiananmen, le pouvoir garde les moyens d'imposer sa volonté, y compris dans la sphère privée, et étouffe sans pitié toute initiative qui pourrait conduire à une contestation.