Cerf ou cheval ? Comment faire tomber un empereur.

Publié le par dibo

"En bref, la puissance politique n'est pas un absolu, mais une relation humaine."
Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations

chinoiseries - Cerf ou cheval ? Comment faire tomber un empereur : l'armée de terre cuite de XianLa succession du premier empereur Qin Shi Huang fut l'occasion de sanglantes querelles. L'héritier désigné, le prince Fusu, fut contraint au suicide par son frère cadet Huhai, mais le véritable homme fort du nouveau régime était Zhao Gao. Celui-ci, chef eunuque sous le premier empereur, était parvenu à force d'intrigues à éliminer ses rivaux et à s'emparer du poste de premier ministre.

Mais la révolte couvait depuis longtemps dans les campagnes écrasées par les projets pharaoniques du premier empereur : Grande Muraille, Grand Mausolée, Armée de terre cuite, etc... Seule sa main de fer avait pu empécher les soulèvements.
En août 209 av. JC., un détachement de travailleurs qui devait se rendre dans le Hebei fut mis en retard par la pluie. La punition pour les retardataires était la mort. Perdu pour perdu, le chef du détachement assembla autour de lui ses hommes et entra en rebellion.
La révolte se propagea rapidement et les armées impériales perdirent partout du terrain. Le nouvel empereur n'en avait cure, il avait coutume de faire jeter en prison les messagers dont les nouvelles lui déplaisaient et bien vite il se laissa convaincre que les rebelles n'étaient qu'une poignée de bandits pourchassés par les autorités locales.
Zhao Gao, lui, observait la dynastie en train de s'écrouler. Il pensa pouvoir la renverser puis apparaitre auprès des rebelles comme un sauveur, et un empereur légitime. Il commença à comploter contre Huhai et à communiquer avec les rebelles.

Un jour, il prensenta un cerf à la cour en prétendant qu'il s'agissait d'un cheval. L'empereur s'adressa à lui amusé : "Premier ministre, ceci n'est pas un cheval, c'est un cerf !" "Je regrette, votre majesté, répondit Zhao Gao, mais cet animal est bel et bien un cheval." Et comme Huhai paraissait troublé, il se tourna vers l'assistance, les ministres, les généraux et tous les dignitaires du régime et leur dit le plus sérieusement du monde : "Allons, messieurs, détrompez l'empereur, dites lui qu'il s'agit bien d'un cheval."
Dans l'assistance médusée, tout le monde connaissait le sort de ceux qui s'opposaient au premier ministre : il eut peu de monde pour expliquer que l'animal était en fait un cerf et leur voix fut couverte par celle de la majorité qui confirmait que c'était un cheval.

Dix-sept jours plus tard, un millier de soldats sous les ordres du beau-fils du premier ministre prenaient d'assaut le palais. L'empereur se suicida, nous étions en 206 av. JC. seulement quinze ans après l'établissement de la dynastie Qin.
Zhao Gao fut éxécuté peu de temps après et les rebelles prirent la capitale 46 jours après sa mort. Il s'en suivit une guerre civile qui mit au pouvoir le fondateur de la dynastie Han quatre ans plus tard.

Commentaire : Comme toutes les périodes de transition de l'histoire chinoise, cet épisode est un sujet de réflexion inépuisable. Mais c'est plutôt l'assimilation de la puissance politique à la capacité de faire croire ou de faire approuver qui m'intéresse ici. Cette conception n'a pas disparu, au contraire, il y a quelques mois, un conseiller de la Maison Blanche affirmait même -sans rire- à un journaliste du Wall Street Journal : "Nous sommes un empire maintenant, et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité."
Ici, la distinction entre puissance et pouvoir politique est capitale, parce que le rôle des institutions est largement de séparer les deux. Aujourd'hui, lorsque le souverain (ou autre) perd sa puissance politique, celà ne préfigure plus un basculement rapide du pouvoir comme c'est le cas dans cette histoire.i_bug_fck

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